Voici le récit de Cleve "Vault-Co" (http://vault-co.blogspot.com ), un américain qui a vécu à Los Angeles en 1992.
Cleve est un américain émigré, un type un peu barjo, un peu redneck dans la communauté
survivaliste australienne. En fait il fait son truc dans son coin, il succombe à diverses modes, et il enjolive, déforme, invente beaucoup,souvent pour soutenir sa vision du monde. (Mais ne le faisons-nous pas tous lorsque nous racontons ?)
Enfin bref, ce qui suit est à prendre avec un grain de sel ou douze,mais c'est toujours un récit intéressant.
Cela a été traduit du post original (en anglais) par un volontaire inconnu mais courageux d'un
forum de jeux de rôles (Sudden Impact du forum de www.sden.org)
À vrai dire, assister aux émeutes de Los Angeles en 1992 fut la plus terrifiante expérience de ma vie. En regardant par hasard la dernière version de LA NUIT DES MORTS-VIVANTS à la télé le mois dernier, cet événement a resurgi à la surface — pour moi ce film n'était qu'un
immense flash-back.
Tu vois Solsys, je faisais partie de l'équipe de sécurité du très chic Rodeo Drive (note : un boulevard de Beverly Hills où s'alignent des boutiques de grand luxe)quant l'émeute a commencé.
Je savais que le verdict de l'affaire Rodney King allait tomber et que les choses risquaient de se gâter, aussi je m'y étais préparé tant bien que mal, en stockant des vivres et en achetant quelques boîtes de munitions.
À ce moment-là, je n'étais pas encore un vrai survivaliste, je commençais juste à développer une sorte d'instinct de préservation, un peu comme un début
de paranoïa...
J'en connaissais assez sur l'histoire des États-Unis pour en déduire ce que les noirs allaient faire s'ils n'approuvaient pas le verdict du procès.
Il suffisait d'extrapoler le comportement qu'ils adoptent depuis des décennies en de pareils cas.
Pourtant, un peu avant les émeutes, 99,999% des personnes à qui j'avais dit de faire attention à ce qui risquait d'arriver avaient réagi de façon aussi stupide et aveugle qu'on le dit ici sur ce forum quand on parle de la grosse majorité amorphe des gens.
Le gars moyen est inconscient de la fragilité du cocon de notre monde civilisé et il ne s'en rend compte que trop tard, quand tout s'effondre autour de lui. Et je dois avouer que moi-même j'étais dans ce cas avant les émeutes.
Mais ces événements ont complètement chamboulé ma perception du monde, au point que je ne serai plus jamais le même. Je dirais que ces émeutes ont profondément modifié ma personnalité et depuis c'est comme si j'avais atteint un autre niveau de conscience.
Dès lors je n'ai jamais totalement quitté cet état de vigilance dû aux décharges d'adrénaline, et après ça je ne suis jamais retourné dans le troupeau de cette masse de gens endormis par les médias.
Pour en revenir au sujet principal, ce jour-là j'étais en train de discuter avec cette pouf connue sous le nom de Pia Zadora, une starlette de second plan qui a tourné dans des films érotiques
minables et qui a la réputation d'avoir couché avec à peu près tous les acteurs et beaucoup d'actrices d'Hollywood.
Elle était venue me demander de l'aide au sujet de l'ascenseur qui descend au parking, et qui ne fonctionnait plus. Je contactais à la radio mon supérieur pour
demander pourquoi les ascenseurs étaient bloqués et il me répondit d'une voix bizarre, effrayée : « On coupe tout. Fait rapido une dernière ronde et au passage verrouille toutes les issues.
Quand tu as terminé, tu es en congé pour le reste de la journée, rentre chez toi.
On va être relayé par un groupe privé lourdement armé qui va bientôt arriver de Beverly Hills.» Je demandais quel était le problème. Pia Zadora me regardait avec méfiance, comme si elle pensait qu'on avait arrangé un canular.
« Écoute Cleve, y'a de drôles de trucs qui sont en train de se passer. Apparemment il y a des émeutes qui éclatent à l'improviste, un peu partout, à cause du verdict de Simi Valley
(note : l'agglomération où étaient jugés les policiers accusés d'avoir frappé Rodney King)
. Ferme tout et rentre immédiatement chez toi.»
J'indiquais à Pia Zadora le chemin par la cage d'escalier et l'accompagnais jusqu'au parking, puis je terminais ma ronde comme on me l'avait demandé.
Je devais retrouver ma femme à Soup Plantation, un restaurant bien connu en bas de la rue. Je n'arrivais pas à l'avoir sur le portable. Quand j'arrivais enfin et garais la voiture, je sentis mon estomac se nouer en constatant la discordance entre le luxe du centre commercial
(note : le complexe commercial dont parle l'auteur regroupe supermarché, galerie marchande et restaurants)et le regard apeuré des gens présents, une expression terrible que je n'avais jamais vue auparavant.
Dans le restaurant la musique d'ambiance était tellement monotone qu'elle ne cadrait plus avec ce qu'on voyait au dehors par les baies vitrées : des voitures en feu, des véhicules de police et des gens qui courraient dans tous les sens.
J'avais prévu de manger rapidement un morceau avec ma femme puis de rentrer à la maison, car il me semblait inconcevable qu'une telle chose puisse arriver, et en fait c'était pire que tout ce que j'avais pu imaginer. Je croyais que South Central (note : ghetto noir ultra-violent) était tellement loin de nous, en fait la jungle urbaine n'était qu'à cinq minutes au coin de la rue.
Les gens dans le restaurant regardaient les reportages du journal télévisé, qui s'enchaînaient et devenaient de plus en plus alarmant, montrant un nouvel immeuble incendié toutes les trente secondes. Je tentais de conserver un air calme et expliquais à mon épouse ce qui se passait.
Tout d'un coup, une femme dans le restaurant se mit à hurler. Un gars tomba son plateau et la soupe se répandit au sol. Un homme se tenait dans l'embrasure de la porte du Soup Plantation, chancelant. Un flot de sang ruisselait de son front, barré d'une sale entaille qui
allait jusqu'à son oreille. Il s'égosillait « Ils arrivent ! Ils sont juste à la porte du super marché !! Ils sont en train de tout casser ! »
On aurait pu entendre une mouche voler. Puis ce fut la ruée, TOUT LE MONDE courait, poussait femmes et enfants, cherchant à atteindre sa voiture dans le parking à l'extérieur. Et là je parle de panique incontrôlable, des gens se rentrant dedans comme s'ils n'en avaient
rien à foutre des autres et ne se préoccupaient que d'eux-mêmes. Un gars en Subaru démarra en trombe et défonça la barrière en explosant carrément la cabine du péage. Tous les autres le suivirent pour sortir.
Il y avait des voitures qui se percutaient comme les autos tamponneuses à la foire, personne ne s'en souciait, tout le monde voulait sortir dans la rue et s'enfuir.
Quand nous arrivâmes enfin sur l'autoroute, je détournais un instant les yeux de la route pour la première fois depuis qu'on avait quitté Rodeo Drive. Derrière nous, à l'horizon, on eut dit que les feux de l'enfer consumaient la moitié de la ville. Ma femme pleurait, elle pensait que c'était la fin du monde.
Sur le chemin de la maison, nous vîmes tout un tas de trucs aberrants. Comme en plein milieu de la route un homme d'affaires assit sur son porte-document, avec du sang maculant ses vêtements et un garrot improvisé. Une horde de noirs entourant un couple, a priori des
touristes, arrachant littéralement un par un les habits de la femme.
Un sans-abri au coin de Sunset Boulevard brandissant un bout de carton où était écrit « REPENTEZ-VOUS MAINTENANT OU SOYEZ DAMNÉ EN ENFER. » Des gens courant de partout avec des caddies bondés de marchandises ou de biens volés. La fumée nous obligea à couper la ventilation extérieure de la voiture et à fonctionner en circuit fermé.
Nous stoppions à chaque feu rouge jusqu'à ce que je réalise que très peu de personnes respectaient la signalisation, et que si nous restions ainsi un moment à l'arrêt nous risquions d'être accidentés. Je luttais de toutes mes forces pour garder mon calme et dans la foulée
éviter que ma femme ne panique, mais j'avais bien du mal à me convaincre que je ne rêvais pas. Je me disais que c'était un de ces rêves hypnotiques où quelque chose d'incongru finirait par se produire, alors je réaliserai que ce n'était qu'un cauchemar, les choses
deviendraient irrationnelles et je me réveillerai. Je pensais bien qu'il y aurait des émeutes là-bas à South Central comme à Watts
(note : l'arrestation d'un conducteur noir ivrogne entraîna six jours d'émeutes dans le quartier de Watts en 1965), que ce serait chaud, mais jamais que cela gagnerait la ville entière, aussi rapidement.
C'était ce que je croyais à l'époque.
Quand nous nous engageâmes dans notre allée de Martin Way ce fut comme si d'un coup je voyais le monde tel qu'il était avec un regard neuf. Notre maison était sur Sunset Boulevard
(note : une artère qui passe entre le riche Hollywood et de l'autre côté des quartiers plus populaires) , près d'un passage qui débouchait de chaque côté sur une grand-route.
Ce n'était pas un bon emplacement pour faire face à cette situation apocalyptique. C'était comme si mes yeux étaient dotés d'une vision à rayons X lorsque nous ouvrîment la porte de devant. Notre appartement était tellement vulnérable, notre porte était en aggloméré : du carton
et de la colle. N'importe quel homme de plus de 90 Kg pourrait arracher cette porte de ses gongs. Je me rendis compte tout à coup que je vivais dans un aquarium avec de larges fenêtres qui donnaient sur le jardin de devant. Comme la plupart des gens, je n'y avais pas prêté attention jusqu'à cet instant précis. Toute ma vie, je n'avais été qu'un somnambule.
La première chose que fit ma femme fut de se ruer sur la télévision. Moi j'avais sorti mon Desert Eagle
(note : un pistolet de gros calibre) du placard et je fis aussitôt le tour de la maison pour
m'assurer que toutes les portes et les fenêtres étaient closes. Puis je retournais au salon et écoutais un petit moment les infos avec ma femme, alors que les derniers rayons du soleil disparaissaient derrière les rideaux. La nuit tombait. Quoi qu'à la télé on eût dit que personne
ne se retrouverait dans l'obscurité, car la moitié des immeubles de la ville brûlaient.
Je tremblais. On pouvait entendre des voix fuser au dehors,certaines vibrant de peur, d'autres de colère. J'observais la rue à travers les rideaux et ne pus voir que des ombres passer sur le
trottoir. J'éteignis la lumière du porche.
Je n'avais aucune envie desortir, je me disais qu'il suffirait de garder les rideaux tirés et personne ne se rendrait compte qu'on était là. J'étais obnubilé par l'envie de me ruer vers une porte solide, au fond d'une cave, où nous nous barricaderions avec le soulagement d'avoir trouvé un lieu sûr,avec de la nourriture, de l'eau et de la lumière. Malheureusement, iln'y avait aucune cave à l'entour.
Nous vivions dans une maison préfabriquée en polystyrène qui pouvait être démolie à mains nues par n'importe qui en ressentirait l'envie. Seul un parfait abrutit aurait pu vivre sans soucis dans une maison comme celle-là, en étant tellement à la masse qu'il serait difficile de prétendre qu'il fut conscient de ses actes.
Je jetais un œil dans la cuisine aux pitoyables provisions que j'avais entreposé pour me prémunir contre ces « émeutes »...quelques boîtes de soupe, deux bidons d'eau, une lampe de poche bon marché. Je m'étais fourvoyé dans mes prévisions.
Quand je retournai au salon et regardai les reportages à la télé,j'eus une information importante : apparemment la police brillait par son absence, le 911
(note : nº de téléphone de la police)ne répondait pas et le gouvernement avait complètement renoncé à jouer son rôle et à maintenir l'ordre.
Les journalistes répétaient que la police attendait l'arrivée de la Garde Nationale. Cela me prit un long moment avant de décrypter ce qu'ils sous-entendaient. La police restait cantonnée dans les commissariats, elle n'interviendrait pas.
Nous étions livrés à nous même, seuls.
Ma femme finit par s'endormir sur le canapé aux alentours de minuit. Moi je ne fermais pas l’œil de la nuit et restait tout le temps devant la télévision, buvant café sur café et observant l'avancée
des mutins dans notre direction, un pâté de maisons après l'autre depuis South Central. Périodiquement, des vues d'hélicoptère filmaient de nouveaux immeubles en flammes, à un rythme toujours croissant comme par magie.
À aucun moment ils n'ont montré des gens qui s'éloignaient des maisons, des incendiaires... simplement les immeubles qui s'embrasaient comme de petits soleils, les uns après les autres, en une lente procession vers Sunset Boulevard. On aurait cru notre planète envahie par des extraterrestres faits de feu.
Vers 6 heures du matin, je me suis hasardé à l'extérieur au moment où le soleil se levait. La moitié de l'horizon était masquée par une colonne mouvante de fumée noirâtre qui ressemblait à une gravure de l'Ancien Testament. Elle était haute de130 Km et atteignait la couche supérieure de l'atmosphère.
Ce matin là, aux actualités, tous les journalistes essayaient désespérément de convaincre les spectateurs qu'un sursaut de raison calmerait les esprits et ils affirmaient que tout rentrerait bientôt dans l'ordre, mais ce ne fut jamais très convainquant car ils alternaient leur blabla avec des brèves sur les flics barricadés dans leur commissariat en train de bouffer des donuts
(note : les policiers sont souvent caricaturés en train de manger ces beignets), de regarder la télé et de se lamenter en disant que ce qui arrivait était affreux, que quelqu'un devait faire quelque chose.
Plein d'experts et autant de présentateurs nous assuraient que la nuit précédente avait été la pire et que c'était terminé. Je montais alors sur le toit de ma maison pour observer ce qui se passait vers le sud —j'eus la mauvaise impression que ce n'était que le début, pas la fin.
Mon sentiment fut on ne peut plus exact. Ça n'avait été que les prémices de la tempête qui approchait.
Je passais un revolver à ma femme, refermais la porte d'entrée etf is un saut au supermarché dès son ouverture. Je me retrouvai au milieu d'une foule qui se bousculait pour entrer et s'emparer d'autant de provisions qu'il était possible d'emporter. Cette fois je ne me trompais pas et j'achetais exactement ce dont nous avions besoin...lait en poudre, denrées de base comme des haricots et du maïs, du corned-beef, 30 litres d'eau minérale. Il y avait peu de caisses ouvertes et j'entendis le gérant se lamenter que beaucoup d'employés ne viendraient pas travailler. Il y avait de l'électricité dans l'air,comme avant un orage. Chacun voulait retourner à la maison avec un stock de provisions et s'enfermer à double tour. Un gars voulait que je
lui donne un gros paquet de piles « D » que j'avais déniché derrière l'étalage vide, je me contentais de le fixer jusqu'à ce qu'il la ferme et tourne les talons. Un vieux bonhomme qui attendait dans la même file que moi se focalisait sur sa radio, il suivait les nouvelles avec un écouteur, en marmonnant des trucs au sujet du « pillage ». À ce moment-là, je ne savais pas encore de quoi il parlait.
Je fis la queue pendant trente bonnes minutes à l'armurerie pour tenter d'acheter des cartouches supplémentaires, mais l'ambiance y était très tendue et particulièrement surréaliste. Il y avait plein de gars qui cherchaient à acheter des flingues aux tireurs qui poireautaient dans la file, parce que l'armurier leur avait ressorti la loi sur la période de vérification de trente jours que la majorité des gens avait voté au référendum : il leur avait expliqué qu'ils pouvaient sans problème faire une demande pour obtenir un permis de détention mais qu'il était impossible d'emporter une arme avant le délai légal et l'approbation des autorités.
Alors ces gus venaient mendier des armes pour protéger leur famille, avec de pathétiques suppliques qui vous fendent le cœur si vous les écoutez. C'est alors que passa un break plein de jeunes noirs, cette saloperie de rap à fond, tout le monde dans la file avait les nerfs à vif en pensant qu'ils allaient mitrailler dans le tas et allumer tous les blancs qui attendaient devant le magasin. La bagnole finit par disparaître au loin. J'en eu assez et rentrais bredouille à la maison, par chance j'avais acheté quelques munitions la semaine avant ces émeutes.
De retour, je vissais aussitôt des barres de sécurité aux portes de devant et de derrière, et fixais des renforts au cas où quelqu'un aurait tenté de les forcer.
Puis j'allumais de nouveau la télé. L'espoir que cette nouvelle
journée accompagnerait le retour au calme s'était complètement évanoui.
Il y avait des foules plus denses que dans les épopées bibliques, qui
envahissaient les parkings de tous les supermarchés de La Cienega
(note : boulevard entre Beverly Hills et Hollywood)et dérobaient tout ce qui n'était pas solidement ancré au sol.
Tous ceux qui ont vu les images peuvent témoigner que la plupart
d'entre eux étaient les nouveaux immigrés mexicains aisés, pas les
« pauvres noirs opprimés des banlieues. »
Ces gars, qui la veille faisaient encore le jardinage dans les
villas huppées, profitaient du chaos ambiant pour tomber le masque :
sachant maintenant que la police n'interviendrait pas, ils grouillaient
comme des prédateurs. Ils dévalisaient systématiquement les commerces
de la côte ouest, emportant tout ce qui dépassait la taille d'une
punaise — et ils faisaient ça ouvertement, défiant les caméras de
télévision qui les filmaient depuis les hélicoptères.
C'était hallucinant de les voir déferler dans les magasins et
ressortir comme des petites fourmis chargées de colis. Le temps avait
filé sans que je ne m'en aperçoive et c'était bientôt midi.
L'après-midi, j'arrosais le toit pour limiter les risques
d'incendie au cas où des émeutiers qui passeraient par l'allée jettent
un cocktail Molotov sur la maison. Certains voisins en faisaient autant
(note : en Amérique du Nord les maisons sont souvent construites en
bois et n'ont pas de volets au fenêtres, ce qui explique leur
vulnérabilité aux incendies et aux catastrophes naturelles)
Un indécrottable gauchiste qui habitait en face, un petit mec avec
une barbiche à la Trotski et une boucle d'oreille, vint m'offrir un
chèque en blanc pour que je lui prête mon pistolet .22 LR tant que
dureraient les émeutes. Il me raconta que sa copine était tellement
effrayée qu'elle n'arrivait plus à dormir et il voulait lui redonner un
sentiment de sécurité. Deux semaines auparavant, ce guignol m'avait
fait tout un laïus sur les dangers de la possession d'armes à feu par
des particuliers. Dédaigneux, je lui répondis qu'il n'avait qu'à aller
dans une armurerie s'il avait besoin d'une arme. Il se morfondit « J'ai
déjà essayé, mais il y a une période d'attente de 90 jours ! » Je
répliquais « Vous n'avez vraiment pas de chance, si j'ose dire.
Remarquez, c'est d'une ironie... C'est ce qu'on appelle se faire
prendre à son propre piège. » C'était véridique. Mais lui, l'ironie de
sa situation ne l'amusait pas. C'était un gars émotif et là il
découvrait la peur, peut-être pour la première fois de sa misérable
vie. Ah, que le passage du rêve à la réalité est difficile pour le
gauchiste de base.
J'entourais ma propriété avec du barbelé rouillé, là où il n'y
avait qu'un simple fil de clôture. C'était la seule mesure valable pour
rendre notre maison de poupée un peu mieux protégée. Je plaçais aussi
des tessons de bouteille aux entrées et verrouillais le portail de
l'intérieur avec des cadenas. Ma femme sortit pour m'apporter à manger
pendant que je travaillais et elle me brocarda comme d'habitude. Pas
méchamment, elle était juste amusée de voir à quel point je
m'investissais à la tâche.
Le locataire précédent avait laissé traîner du fil barbelé, une
demi-douzaine de pièges à nuisibles et une boîte avec des clous. Dire
que la semaine dernière je m'étais plaint au propriétaire au sujet de
ce gros rouleau de barbelés rouillé abandonné dans le garage. Je
dissimulais les pièges dans les broussailles de l'autre côté des
barrières, parce qu'il s'agissait des coins où un casseur trouverait
des prises pour enjamber la clôture et pénétrer sur notre terrain. Puis
je mis ma femme à contribution pour fabriquer des caltrops avec des
clous et du fil métallique. En deux heures on en avait assemblé deux
douzaines et je répandis ces caltrops sur la pelouse de devant, les
masquant avec des brins d'herbe. Je n'avais jamais fabriqué de caltrop
jusqu'alors, et je ressentis de la satisfaction à y parvenir.
Une nouvelle fois le soleil se couchait et le
voisinage se vida, chacun se réfugiant dans sa maison. Je commençais à
me sentir comme le personnage de la nouvelle de Richard Matheson, « JE
SUIS UNE LÉGENDE », cherchant à rejoindre mon refuge avec mes
provisions avant que le soleil ne disparaisse et que les vampires
sortent. Les hélicoptères tournoyaient dans le ciel, on eût cru revivre
l'attaque sur la plage menée par Robert Duvall dans APOCALYPSE NOW.
Cette nuit fut un remake de la précédente, en dix fois pire.
Maintenant qu'ils avaient incendié la majeure partie de South Central,
ils cherchaient à tracer vers le nord en coupant par Sunset Boulevard.
J'avais eu la prémonition que des affrontements titanesques allaient se
produire lorsqu'ils avaient quitté le ghetto pour dévaster les
quartiers blancs le jour suivant.
Je grimpais sur le toit et essayais de viser différentes zones de la rue, en calant ma .203
(note : une carabine)contre la gouttière, pour voir si j'avais une ligne de tir
dégagée au cas où on en viendrait jusque-là. Un hélicoptère de la
police passa au-dessus de moi et le pilote dût me remarquer avec la
carabine, mais lorsqu'il fit un second passage après avoir viré de
bord, j'avais planqué mon arme dans la gouttière avec les cartouches et
je les avais recouvertes de feuilles, et je faisais maintenant semblant
de balayer le toit pour qu'il pense qu'il avait vu un manche à balai et
non pas un fusil. Le plus étonnant dans tout ça, c'est que ce
comportement ne m'était pas familier et pourtant tout semblait
s'enchaîner par instinct. C'était comme si je commençais à découvrir
qu'une autre personne avait sommeillé en moi pendant 27 ans et que ces
émeutes avaient fait ressortir ma vraie nature. Je découvrais
progressivement que j'avais l'âme d'un survivaliste. C'était mon vrai
moi, ma vraie nature qui jaillissait au grand jour sous le coup du
stress.
Quand le soleil se coucha et que l'interminable nuit débuta, je
retournais dans la maison et poursuivais ma veille devant la télévision
avec une carafe pleine de café noir. Je n'avais pas dormi plus de deux
heures en deux jours, et je n'étais pas tant fatigué physiquement, mais
bien plus tendu par l'anxiété.
J'avais l'estomac barbouillé à force de boire du café toute la nuit
en regardant des immeubles brûler à la télévision, aussi je passais au
Coca-Cola vers les 3 heures du matin pour rester éveillé. Un litre plus
tard, j'essayais de fixer cette bouteille vide au crache-flamme de ma
.203 — en coupant un bout de plastique elle s'y ajusta parfaitement. Je
reposais mon arme en songeant que ce silencieux improvisé absorberait
une partie de la détonation si je devais monter sur le toit et canarder
des pillards depuis les positions que j'avais repérées la soirée
précédente.
La meilleure façon de résumer les actualités était de dire que les
portes de l'enfer s'étaient ouvertes sur Los Angeles. Les Coréens
assuraient eux-mêmes la défense de leur boutique en répliquant aux tirs
des pillards depuis les toitures, au lieu que ce soit la police qui
intervienne. La Garde Nationale était en chemin, ou un truc du genre
selon les reporters. Darryl Gates
(note : le chef de la police de Los Angeles lors de ces émeutes, qui mirent fin à sa carrière à ce poste)répondait à des questions embarrassantes, du genre pourquoi la
police n'avait pas levé le petit doigt pendant trois jours alors que se
déroulaient les pires émeutes de l'histoire des États-Unis. Il se
contenta d'afficher un regard de merlan frit et de hausser les épaules.
De leur côté, réalisant qu'ils pouvaient opérer en toute impunité dans
cette ville livrée à l'anarchie, les pillards s'organisaient de mieux
en mieux. La suite des événements eut un apogée révélateur — chacun se
préparait à sauter le pas vers un univers qui n'avait plus rien à voir
avec le monde civilisé que nous connaissions.
Le brasier s'était étendu de quelques zones
ponctuelles à l'ensemble de la ville, risquant désormais de jaillir
n'importe où sans prévenir. Les incendiaires utilisaient des produits
hautement inflammables capables de réduire en cendre un immeuble entier
en moins d'une demi-heure. Les maisons cramaient les unes après les
autres, en direct à la télévision, et finalement je reconnus des coins
situés seulement à quelques pâtés de maisons au sud de chez nous.
C'était ce que montraient encore les actualités, en plus des
décrets de loi martiale et de couvre-feu, lorsque je me réveillais ce
matin-là, l'odeur entêtante de la fumée imprégnant nos poumons. Ma
femme m'avoua qu'elle voulait boire du lait et croquer dans du pain
frais. Elle rejeta ma proposition d'utiliser du lait en poudre et de
tenter de préparer nous-mêmes du pain avec la farine que j'avais
achetée. Elle n'en aimait pas le goût. Elle me fit remarquer que les
rues étaient redevenues calmes en cette matinée. Les émeutiers étaient
probablement en train de dormir ailleurs... Elle m'assura que c'était
le meilleur moment pour foncer au Quick Mart et acheter de la
nourriture. J'ignore pourquoi, mais à ce moment-là cela me sembla
logique. J'allais vite découvrir que c'était une grossière erreur.
Je me préparais à y aller en emportant mon Desert Eagle mais elle
me fit une scène, craignant que la police me tire dessus s'ils me
voyaient avec une arme à la main, ou qu'on m'arrête dès que je mettrai
le pied dehors. Elle disait que le magasin n'était qu'à deux pâtés de
maisons et que je n'avais qu'à y aller en courant, acheter des
provisions fraîches et revenir en vitesse. Je me laissais convaincre et
abandonnais le Desert Eagle à la maison, estimant que ça ne valait pas
la peine de risquer de me faire flinguer par les flics pour un peu de
lait et de pain.
Je ne courus point, je marchai tranquillement le long de l'allée
alors que le soleil se levait. J'entendais les gazouillements des
oiseaux et quelques véhicules en feu au loin, mais à part ça les rues
semblaient désertes.
Quand je tournais à l'angle de la rue et aperçus enfin le Quick
Mart, un noir visiblement saoul d'une cinquantaine d'années s'avança en
titubant. « Vous avez trop longtemps tiré sur la corde pour profiter de
nous, enculé de blanc ! Regarde ce que vous récoltez ! Voilà ce qui
arrive quand on tire trop sur une corde ! Alors, ça te plaît ce bordel,
enfoiré de cul blanc ! »
Je me retournais alors qu'il me dépassait et désignais mon
entrejambe, lui faisant face tout en continuant d'avancer vers le
magasin. « Tire plutôt sur celle-là, mec, il m'en faut encore une
quinzaine de centimètres. Tu tires bien fort et tu m'en prépares un
bout bien solide, OK ? » On se dévisagea un moment avec des regards
haineux, puis il éclata d'un rire rauque et il poursuivit sa route en
clopinant.
Je ne vis plus âme qui vive jusqu'à ce que j'arrive devant le Quick
Mart. On aurait pu jurer qu'il était fermé comme tout le reste, avec
les lumières éteintes et une seule voiture garée en face. J'essayais de
pousser la porte à tout hasard et elle s'entrebâilla. Je rentrais en
demandant « Salut, il y a quelqu'un ici ? La porte était ouverte... »
Il faisait sombre dans le magasin, à
l'exception des lumières des banques réfrigérées au fond. L'espace d'un
instant je crus entendre un bruit à droite, vers le coin où il y avait
la librairie, noyée dans l'obscurité, mais avant que je ne m'en
préoccupe quelqu'un me fit un signe à la caisse, plus loin sur la
gauche.
Un gars à peine majeur, très mince et visiblement anxieux, me fit signe « Hé ! Approchez. »
J'avançais jusqu'au comptoir en traversant les rayons, au milieu de
verre cassé et de sacs éventrés. Le commis ne portait pas d'uniforme et
bien qu'il fut tendu, il sourit du mieux qu'il put, mais cela ne me
rendit au contraire que plus nerveux car je comprenais que quelque
chose lui faisait sacrément peur.
« Écoutez, normalement on ne devrait pas être ouvert, »
murmura-t-il, tout en rangeant des papiers sur le comptoir, « Je suis
venu uniquement parce que mon patron m'a demandé de récupérer des
documents dans le bureau puis de tirer le rideau. » Il jeta un coup
d'oeil vers le côté droit du magasin où, maintenant que je m'étais
habitué à l'obscurité, je pus distinguer quatre types debout en train
de feuilleter des magazines. « Ces gars m'ont emboîté de pas et ils ne
veulent plus partir. Bon, de quoi avez-vous besoin ? » finit-il par me
demander.
« Je veux juste un peu de lait, du pain et du beurre, et aussi quelque chose de doux, comme des bonbons pour la gorge, c'est possible ? » répondis-je doucement.
« Pourriez-vous m'aider à virer ces types ? Vous vous êtes costaud,
vous êtes un agent de sécurité non ? »
Je réalisais tout à coup que je n'avais pas changé de vêtements depuis que j'avais quitté mon boulot à Rodeo Drive trois jours auparavant. « J'en ai franchement rien à foutre du magasin, vous pouvez prendre tout ce dont vous avez besoin, et aprèsje fermerai. Mais avant il faut que ces types dégagent. »
J'acquiesçais, « OK, je vais essayer de vous aider. Sont-ils armés ? »
m'informai-je avec méfiance.
« J'en sais fichtrement rien, ils me font tellement peur que je ne suis plus retourné leur parler, » chuchota-t-il.
J'observais un peu ces quatre types. « Je vais les faire sortir, »
lui dis-je avec bien plus d'assurance que je n'en avais vraiment.
En avançant vers le rayon des magasines, je reprenais ma voix et
mon allure d'agent de sécurité, que j'avais peaufinées pendant un an et
demi en étant confronté à ce type de problème à Park La Brea et à Rodeo
Drive. Et tous ceux qui travaillent dans la sécurité savent exactement
de quoi je parle.
En me rapprochant, je pouvais maintenant les détailler. Des
mexicains, clairement des membres d'un gang. Deux des gars étaient
tellement petits qu'ils frisaient le nanisme. Un autre, plus âgé et de
carrure assez mince, avait les yeux dans le vide comme s'il était ivre
ou drogué. Celui qui semblait le plus coriace était un costaud
d'environ 90 Kg pour un bon mètre 78, un salopard au regard désagréable
et à la dégaine de la parfaite ordure. J'avais donc l'avantage de la
taille et du poids sur le meneur, mais je ne vais pas vous mentir et
fanfaronner. En vérité mon coeur battait la chamade et je n'en menais
pas large. Ces gus auraient pu dégainer des flingues en quelques
secondes et me buter aussi sec. Bien entendu, à cet instant je me
mordais les doigts d'avoir écouté ma femme et laissé le Desert Eagle à
la maison.
Les deux nains se mirent à rouler des mécaniques dès que je fus
proche, remuant leurs lèvres comme des maboules. Ces minus seraient
sans doute les premiers à sortir leur flingue si on en arrivait à une
démonstration de force. Je conservais une expression neutre, sans
laisser transparaître la moindre émotion. N'oublions pas que
l'impassibilité est généralement beaucoup plus inquiétante qu'un air de
dur ou un comportement agressif. Dans ces cas-là, adoptez toujours un
visage imperturbable et un regard distant. Désamorcez le conflit, ne
trahissez jamais vos émotions, pas même l'hostilité. Plus l'autre gars
s'emporte, plus votre expression doit être neutre, cela déstabilise à
peu près n'importe qui.
Le maigrichon bourré l'ouvrit en premier. Ses
trois compagnons faisaient jouer leurs muscles et se déhanchaient comme
des singes. « Qu'est c'qu'y a ? » je décelais un manque d'assurance
dans sa voix, ce qui me réconforta. Sois direct, ne mâche pas tes mots.
« Le caissier là-bas dit que le magasin est fermé. Pourquoi vous
êtes encore là les gars ? » demandai-je en m'adressant directement au
costaud et non au maigrichon.
« Va t'faire foutre, » lança-t-il, « on est dans une putain de
dé-moc-crass-ie. On a le droit d'aller où on veut, bordel. »
Étonnamment ces types ne parlaient pas avec des voix suffisamment
graves. Ils se donnaient en spectacle et faisaient les beaux, mais
j'étais certain qu'ils manquaient d'assurance et allaient se calmer.
Le petit nain mexicain avait un bandana autour de la tête. « Petit
blanc, tu vas te faire botter le cul si tu nous parles com'ça. » Au
moment précis où il dit ça, je sus que ces types n'avaient pas de
flingue. C'étaient des petites frappes qui rêvaient d'intégrer un gang
mais qui mais tondaient des pelouses pour gagner leur vie. Toutefois
ils se la jouaient gros dur pour effrayer les honnêtes citoyens.
J'empoignais le petit mec par les cheveux et le bras, l'utilisant
dans la foulée comme un bouclier pour pousser les autres vers la
sortie. Tout en avançant, j'attrapais au passage un objet sur un
présentoir et l'enfournais dans ma poche. « Les gars, on vous a
gentiment demandé de sortir. Il est temps d'y aller. On ne veut pas de
vos histoires vaseuses. Quittez les lieux, c'est terminé. »
Le costaud baragouinait des insultes, enculé et tout le reste, mais
il était lui aussi chassé vers la porte, vu que je me servais du nain
pour repousser les autres. Le maigrichon bourré était furieux, avec un
regard d'assassin, mais maintenant que je savais qu'ils n'avaient pas
de flingue, aucun d'entre eux ne me faisait peur.
J'ouvris la porte principale et les jetais dehors où ils poursuivirent leurs invectives et leurs plaintes.
Alors que je cherchais à refermer la porte pour la verrouiller, le
costaud se ravisa et tenta de se rebeller. Il coinça son bras contre le
cadre de la porte et chercha à m'agripper à la gorge. Il voulait
m'étouffer et continuait de m'insulter pendant que ses amis
l'encourageaient dans son dos. « Pédé de gringo, je vais t'étrangler ma
salope ! » Il n'arriva pas à trouver une prise solide et je lui tordis
les doigts en arrière jusqu'à ce qu'il couine et relâche son
étreinte... mais avec l'autre main il m'envoya une droite sur le côté
du visage. Je ressentis un peu de douleur. Ses amis beuglaient, « Tue
ce connard, Poppy ! Vas-y, tue-le ! » Il m'envoya un autre direct et
comme j'étais toujours en train d'essayer de fermer la porte, je reçus
le coup en plein dans le nez. Cette fois ça me fit vraiment mal. Mon
nez pissait le sang. Les trois autres se moquaient et m'insultaient,
« Et paf ! Pédale de blanc, allez casse lui la figure ! »
Maintenant que je saignais du nez, je décidais
que se contenter de les pousser et refermer la porte n'était pas la
bonne solution. Alors j'envoyais balader le costaud un peu plus loin
dans la rue et je sortis à mon tour. Ses amis l'exhortaient, « Ouais,
Poppy va lui casser le cul, mec, t'es un homme mort! »
Vous allez certainement penser que c'est le passage où je vais vous
raconter un super combat de rue où j'utilisais d'incroyables
enchaînements de kung-fu pour vaincre mon adversaire.
Et bien vous serez probablement déçus. Le combat dura approximativement une seconde.
Alors que « Poppy » avançait sur le trottoir, il fit un truc que
les hispaniques font souvent quand ils friment. Il leva les bras au
ciel en écartant les doigts, haussant les épaules et tournant sur lui
même, comme pour montrer au monde entier que je ne lui faisais pas
peur, me défiant « Putain, mais qu'est-ce que tu vas faire, hein ?!?
Qu'est-ce que tu peux faire ?!? »
Comme il se retournait pour me faire face, je le frappais en plein
sur l'arête du nez avec une boîte de nourriture pour bébé à la purée de
dinde de plus d'un kilo, celle-là même que j'avais attrapée sur
l'étalage lorsque je poussais ces types vers la sortie. Je la lançais
de toutes mes forces et la lâchais seulement à quelques centimètres de
sa tête juste au moment où il finissait de tourner sur lui même.
C'est difficile de décrire ce qui suivit, il eut fallu être présent
pour le voir. C'était comme si on avait déclenché une bombe
thermobarique au bout de son nez, avec de la purée de dinde en guise
d'explosif. En fait je dus reculer et mettre un bras devant mon visage
pour me protéger des éclats de verre. Je pense que la boîte devait
filer à 150 Km/h ou plus lorsqu'elle le percuta. Il y eut une explosion
monstrueuse, la nourriture pour bébé gicla partout, et des morceaux de
verre et des bouts d'étiquette déchirée se répandirent sur une zone de
dix mètres tout autour.
Pendant une microseconde tout le monde resta figé. Le costaud se
tint planté là, le visage en bouillie, les yeux ensanglantés, puis il
porta ses mains à la figure et tomba à la renverse avec un cri
effroyable. Les trois autres restèrent interloqués pendant cinq bonnes
secondes avant de réaliser ce qui venait d'arriver.
« OH SEIGNEUR, IL M'A TIRE DESSUS, PUTAIN DE MERDE JE VAIS
CREVER, » hurlait-il, ses mains couvrant son visage, du sang suintant à
travers les doigts.
Le maigrichon vint à son secours, les larmes aux yeux, l'aidant à
lui soutenir la tête, « Il t'as pas calibré, Poppy, non il a dû te
frapper avec un truc, oh mèèèrde mec, t'es salement amoché ! »
Le costaud s'égosillait « DOUX JESUS, MES YEUX, J'ARRIVE PLUS A
OUVRIR LES YEUX, MEC JE VAIS CREVER ! » du sang coulait de son nez, de
ses yeux, entre ses doigts. Il y en avait un marre là où il était
vautré. « FAUT M'EMMENER A L'HOSTO, J'VAIS CANNER SI JE RESTE ICI MEC ! »
Un des nains se trémoussait comme dans un début de simulacre de
danse, faisant des gestes agressifs. « Oh, toi t'es mort blanchette !
Viens Paco on va chercher Benny, Benny lui il va l'plomber c't enculé
d'gringo ! Oh mec, regarde ce qu'il a fait à Poppy, c'est la merde ! »
Ces deux-là détalèrent, braillant qu'ils allaient « voir Benny » et que ça allait chauffer.
Le maigrichon saoul aida son ami à se redresser, il hurlait, « Con
de blanc, on était juste venu pour acheter des bières et il a fallu que
tu foutes la merde ! Enculé d'taré, tu vas payer pour ça quand Benny
sera là, attend tu vas voir ! » Ils s'éloignèrent dans la rue en
titubant, le costaud gémissant en serrant son visage entre ses mains.
Je retournais à l'intérieur de magasin et fermais la porte. Le
caissier tremblait de peur et il se dépêchait d'enfourner ses papiers
dans une chemise. De mon côté, je passais dans les rayons pour
récupérer les marchandises dont on avait besoin et les mettre dans un
sac en plastique.
Les autres ne plaisantaient pas. Ils allèrent chercher Benny.
Le commis, qui s'appelait Peter, m'avait dit de
prendre ce que je voulais dans le magasin. J'attrapais des provisions
au hasard mais il y avait toujours du sang qui coulait de mon nez. Mon
uniforme de gardien de sécurité était maculé sur tout le devant.
J'avais le vertige et je me sentais faible, la rançon de trois jours
sans sommeil, d'un coup de poing dans le pif et de toute la caféine que
j'avais ingurgitée.
Peter ouvrit un paquet de serviettes et tenta d'arrêter
l'hémorragie, et croyez le ou pas il profita de l'occasion pour se
frotter contre moi. Je laissais échapper dans la discussion que j'étais
marié. Il tiqua mais continua de s'occuper de mon nez. Homo ou pas,
c'était plutôt quelqu'un de bien.
« Pensez-vous que ces types vont revenir ? » me demanda-t-il, en finissant d'éponger le sang.
« Non, ils ont détalé, tu peux être certain de ne plus les revoir.
Les Mexicains sont incapables de s'organiser. Ils vont se saouler la
gueule et oublier toute cette histoire, » répondis-je tout en reniflant
pour essayer d'enrayer l'hémorragie afin de ne plus être gêné.
Peter acquiesça et me passa une serviette. Je m'appuyais contre le
comptoir et penchais la tête en arrière pour arrêter le saignement.
Peter prit une bouteille de Coca Light dans un réfrigérateur et en fit
tomber accidentellement une autre. « Qu'importe, » dit-il, « Je
retournerai jamais ici. Des boulots comme ça, je peux en trouver dix
par semaines si je veux. Mon patron voulait que j'ouvre le magasin
aujourd'hui, n'importe quoi, aujourd'hui ça craint un max, pas besoin
d'être un génie pour s'en rendre compte. Maintenant je rentre chez moi,
à Burbank
(note : une localité située plus au nord, éloignée des émeuttes)
, et je ma calle dans un fauteuil avec un bon bouquin et une bouteille
de Jack Daniel's. La Garde Nationale finira par arriver tôt ou tard. »
Mon nez s'arrêta enfin de saigner. J'essuyais ce qu'il restait avec
l'autre côté de la serviette. Je remarquais alors du coin de l'oeil
quelque chose bouger à l'entrée. Peter était médusé.
Les deux nains étaient de retour. Entre eux se tenaient le plus
petit et le plus laid de tous les Mexicains qu'il me fut donné de voir.
Et ça croyez moi, ça en dit long sur ce mec. Inutile d'être Sherloc
Holmes pour en déduire que c'était « Benny ». Ainsi, ils étaient
sérieux. Ils étaient allés chercher du renfort.
Ce « Benny » me dévisageait avec rage. Un des
nains me désigna à travers la vitre avec un doigt crochu. Benny avait
un regard avec lequel on ne plaisante pas, et j'avais suffisamment
d'expérience en tant qu'agent de sécurité pour savoir quand vous avez
affaire à un vrai dur. Ses amis étaient peut-être des amateurs, mais
lui il était de la trempe des pires racailles. Fine moustache. Un
visage basané, impressionnant. Même si ce type ne mesurait qu'un mètre
quarante-cinq, il était robuste comme un chêne et il émanait de sa
personne une effrayante menace. Il devait pouvoir buter plusieurs
personnes par semaine sans sourciller.
Sans me quitter des yeux, il cogna contre la vitre avec la crosse de son Glock
(note : un pistolet de gros calibre,
populaire chez les gangsters pour, en plus de son chargeur de grande
capacité, sa réputation – erronée – de gruger les détecteurs de métaux
grâce à sa carcasse en plastique)et dit un truc en ouvrant à peine la bouche, probablement une
insulte. Il n'arrêtait pas de me fixer. Ce mec avait un regard
tellement brûlant qu'il aurait pu décoller la peinture d'un mur rien
qu'avec ses yeux.
J'avais les boules. À cause de ma femme j'avais laissé le Desert
Eagle. Mince, j'allais me faire buter parce qu'une fois encore je
m'étais plié à ses humeurs. Elle craignait que je me fasse tirer dessus
si j'emportais une arme... Quelle ironie. Peter s'était réfugié dans
l'ombre derrière un présentoir de fromages et il me faisait de grands
signes pour que je me baisse. C'est ce que je fis, puis rampais auprès
de lui, abandonnant mes provisions car elles m'encombraient.
« Peter, » lui dis-je, « Ma femme pense que j'en ai pour cinq
minutes, je dois la rejoindre maintenant. J'espère que tu connais une
autre sortie. J'ai pas envie de mourir ici pour une flûte de pain et du
lait. »
On frappa à la vitre avec le Glock une nouvelle fois. Pas très
fort, voyez-vous. Doucement. Ils étaient vraiment à fond dans leur trip
malsain. Je ne sais toujours pas si ces Mexicains espéraient que je
vienne jusqu'à la devanture et ouvre la porte pour qu'ils puissent me
tirer entre les deux yeux.
Peter se révéla être un gars débrouillard sous la pression. Il me
dit « J'avais prévu le coup, au cas où un malade entre dans le magasin
pour faire un carton, commet je pourrais m'échapper. Suivez-moi, je
connais un chemin sûr. » Il n'eut pas à me le répéter, nous rampèrent
ensemble vers le fond.
Nous pénétrâmes dans l'arrière-boutique, une
petite pièce plongée dans les ténèbres à l'exception de la lumière de
sécurité qui indiquait la sortie en cas d'incendie. « Pas par là, » me
dit Peter, « suivez-moi. »
Un coup de feu retentit derrière nous et nous entendîmes la vitre voler en éclats. Je sursautai au point que je faillis me pisser dessus.
J'entendis des pas, on aurait dit bien plus que trois personnes s'engouffrant dans le magasin, criant et proférant des insultes. Un autre coup de feu. J'en avalais presque ma langue.
Je suivis Peter le long d'un couloir qui ressemblait à un wagon de trolley, et qui passait derrière le magasin. Là nous étions protégés par le mur en béton et il y avait à nouveau de la lumière. Nous nous étions redressés et courions à présent. Peter me fit signe de tourner à droite et de monter par une série d'escaliers.
Nous traversâmes une salle, complètement déserte. Peter ouvrit une porte latérale, qui comme par magie n'était pas fermée – elle menait dans un hall d'entrée d'un lieu appelé La Cienega Realty. Sans perdre un instant, il verrouilla la porte derrière nous.
J'étais couvert de sueur et je frissonnais. J'étais transi de peur, j'avais du sang partout sur ma chemise, je devais être épouvantable à voir. Nous restâmes là pendant un long moment, tendant l'oreille pour repérer le moindre bruit fait par nos poursuivants. Nous n'échangeâmes pas le moindre mot. Je retenais mon souffle aussi longtemps que je le pus, puis je fis tout mon possible pour reprendre ma respiration en silence.
Peter finit par dire « En sortant par la porte transversale de cette agence immobilière, vous tomberez juste à l'angle de Sunset, de l'autre côté à un pâté de maison du Quick Mart. »
Je ne bougeai pas d'un pouce et ne dis rien. Puis j'allai m'asseoir au bureau d'un commercial et observais les alentours. On avait abandonné la boutique en toute hâte. Un post-it jaune était placardé sur le moniteur de l'ordinateur : « QUITTER LES LIEUX À PARTIR DE 2:30, ÉMEUTES ! »
Je n'osai même pas allumer la lampe de bureau et restai là dans la pénombre, à la faible lumière des quelques rayons de soleil qui entraient par la fenêtre de devant.
"Peter s'est assis et n'a dit rien. Nous nous sommes assis très tranquillement. J'ai fermé mes yeux et me suis presque endormi, effrayé par cette rancœur stupide. Environ 30 minutes ont passé."Pete, je dois y aller, mon pote, j’ai beaucoup apprécié," lui dis-je en me levant. "Je vais me casser par le bas de Sunset en espérant que Benny ne soit pas dans le coin" Peter dit : " J’appelle ma soeur, elle a une compagnie de taxi. Elle en enverra un ici pour me prendre à Burbank," Je lui ai esquissé un sourire tremblant et long, ressemblant à une vilaine grimace J'ai ouvert la porte en fixant la rue avec attention. Un courant d'air frais est alors entré, un courant d'air matinal et frais chargé de fumée.
Aucun signe de quiconque. J'ai pensé:mon dieu, il est seulement 9h15.
Je croyais qu'il faisait nuit après tout ça. J'ai couru en traversant Sunset, il n'y avait pas de circulation. Les rues étaient tellement calmes que l'on pouvait entendre le chant des oiseaux. Aussitôt arrivé au bout de l'allée, derrière les maisons de "Martin Way", j'ai arrêté de courir, suspectant Benny de pouvoir me mettre une balle dans la tête à cet endroit.Je suis rentré à la maison, ma femme hurlait à la vue du sang. J'ai fermé toutes les portes et les rideaux, j'ai pris une douche et me suis endormi sur le canapé après trois jours sans véritable sommeil. Je me
souviens d'avoir parlé avec ma femme qui me demandait "Et le lait ?" et que je lui ai répondu "Mets quelques gouttes de vanille dans la crème poudrée et laisse refroidir quelques minutes, c'est délicieux.Je ne peux pas parler, suis trop fatigué. Je dois prendre ce fusil, ne me dis pas ce que j'ai à faire, ok ? A partir de maintenant c'est moi qui mène la danse ici. Quand les émeutes seront finies, tu pourras me dire ce que tu veux..
L'après midi allait devenir biblique, l'Apocalypse à grande échelle.N'avez-vous jamais vu, dans un film, ces effets spéciaux CGI ?
Ils pourraient passer pour une bougie par rapport à ce que j'ai vu quand je me suis réveillé."
"Je veux juste dire que j'ai mis par écrit ce récit aussi justement que possible, en ne cherchant pas l'embellissement. Je n'ai pas essayé de me rendre plus grand de 10 pieds ou que Rambo, parce que je ne le suis pas. J'avais très peur (peur de la mort), j'étais mal préparé et n'avais pas les connaissances nécessaires pour savoir que mettre en œuvre durant les émeutes. Maintenant,(De nos jours), j'aimerais pouvoir évacuer Los Angeles dans l'heure ou me réfugier quelque part.
Je voulais juste dire qu'avant je ne pouvais pas arrêter quelqu'un avec une arme sans avoir de haut le cœur."
je me suis réveillé de ma longue sieste avec ma femme qui me secouait (d'habitude "prodding" a une connotation sexuelle) et me dit d’une voix apeurée et au bord de l’hystérie : " Sweetie,(chéri) je crois que tu devrais te lever, tu dois voir ça"
Dès que j'ai ouvert les yeux, j'ai réalisé que ma gorge était irritée par la fumée. J'avais dormi sur le montant du canapé pendant environ 4 heures. Je me suis levé prestement et j'ai attrapé ma femme par le bras. "Qu'est ce qu'il y a ? Qu'est ce qu'il se passe ?" J'ai dit:
" J'ai toujours rêvé que Benny était était à ma recherche et qu'il était sur le point de me trouver".
Les infos disaient que les émeutes (la manif) étaient dans notre quartier maintenant; à droite dans la rue et qu'elles allaient vers "Hollywood boulevard" ( dit elle [la gonzesse des infos] avec une voix inquiète).
J'ai dit, en me dressant sur mes pieds et en allant chercher le Desert Eagle (pistolet) sous un coussin du canapé: "Chérie, pourquoi tu m'as laissé dormir ? Tu aurais dû me réveiller !"
Je croyais que tu m'avais dit de te laisser dormir quand tu étais fatigué ! m'a elle lancé
Je jetais un coup d'œil à la télé. Ils étaient dans notre quartier (de manière panoramique) et du ciel au sol tout était en feu. Des centaines, des milliers de personnes courraient partout.
"Oui ma chéri, c'est d'habitude une bonne règle sauf quand la société s'effondre ou que notre maison est en feu "( tempète de feu). J'étais vraiment en colère parce qu'elle ne m'avait pas réveillé. "Vas dans la salle de bain et assis toi dans la baignoire (près du robinet).
Prend la télé avec toi et quelque chose à manger [ndt: mœurs américain peut être ?)
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